Le braille, une écriture de lumière et de liberté.

 

Artiste plasticien, éditeur, enseignant, et militant pour l’accessibilité culturelle : le braille, pour moi, n’est pas seulement un outil, c’est un langage vital, une structure de pensée, une source de liberté.

C’est une écriture silencieuse qui me relie au monde, à la connaissance et aux autres. Il est mon canal d’expression, mon outil d’émancipation et l’un des fondements de mon parcours personnel et professionnel.

Devenu aveugle à l’âge de 12 ans, j’ai découvert très tôt la puissance de ce code. Il m’a permis d’appréhender le monde, d’apprendre, d’écrire, de me construire intellectuellement. C’est par le braille que j’ai pu accéder aux études supérieures, obtenir un doctorat d’État en psychologie, mention sciences de l’éducation,  soutenir une thèse sur la symbolisation graphique chez les personnes aveugles, devenir psychothérapeute, obtenir des diplômes d’études approfondis en droit, une agrégation en sciences économiques et sociales.

Dans mon parcours artistique et pédagogique, j’ai aussi été confronté à la musique : élève de Pierre Cochereau, dans la lignée des grands organistes malvoyants – Wallet, Litaize, Marchal, Langlais. J’ai donc appris le braille musical, une notation spécialisée permettant aux personnes aveugles de lire et écrire la musique avec les doigts. Le braille musical est une invention remarquable : il traduit les hauteurs, les rythmes, les silences, les nuances. C’est un langage à part entière, rigoureux et exigeant, qui demande un apprentissage spécifique. Mais il offre aux musiciens non-voyants une totale autonomie : composer, interpréter, enseigner, tout devient possible sans dépendre d’une transcription orale.

Je considère le braille musical comme l’une des expressions les plus subtiles de l’intelligence tactile. C’est un domaine trop peu soutenu aujourd’hui, malgré son importance culturelle. Il devrait être enseigné partout où la musique est accessible, notamment dans les conservatoires et les structures pour jeunes déficients visuels.

Beaucoup pensent aujourd’hui que le braille est dépassé, remplacé par les technologies vocales. Ces outils sont utiles — je les utilise moi-même — mais ne remplacent pas la précision ni l’autonomie que procure le braille. Lire en braille, c’est ressentir la ponctuation, la grammaire, la structure du texte. Écrire en braille, c’est réfléchir, s’exprimer avec rigueur et nuance.

C’est cette conviction qui m’a conduit à créer l’Association Horus, un des tous premiers centre de transcription braille de France, puis l’Association Arrimage, qui promeut l’accessibilité à l’art pour les personnes aveugles. Nous avons, entre autres, publié une édition tactile du Petit Prince de Saint-Exupéry, où se croisent écriture braille, texte en noir et images en relief. Dans ce projet, le braille est au cœur d’une démarche inclusive : il ne s’adresse pas seulement aux déficients visuels, mais permet aux voyants et non-voyants de partager une œuvre ensemble, par le toucher.

Il est essentiel de rappeler que l’apprentissage du braille est une conquête. Il nécessite un accompagnement, des ressources, et une volonté politique. Aujourd’hui, on constate une baisse de l’enseignement du braille, compensée par l’audio. C’est une erreur. Le braille n’est pas une alternative, c’est un droit. Il est aussi fondamental pour la culture écrite qu’un alphabet imprimé.

Pour les enfants aveugles, ne pas apprendre le braille, c’est être privé de lecture, d’orthographe, d’écriture mathématique et scientifique, de poésie, de notation musicale. Pour les adultes, c’est perdre une autonomie précieuse dans la gestion de la vie quotidienne, du travail, des loisirs. Le braille est une porte ouverte sur le monde. Il doit être protégé, promu, diffusé.

Je milite donc pour une reconnaissance du braille comme bien culturel commun. Il faut produire davantage de livres, de partitions, de supports éducatifs en braille, dans tous les domaines, et notamment dans les arts. Il faut former des enseignants, financer la recherche, développer les outils technologiques compatibles avec l’écriture tactile.

Le braille est un trésor — pas du passé, mais de l’avenir.

Il est la preuve que l’intelligence humaine peut s’adapter, créer, traduire la complexité du monde en signes palpables. Il est la lumière intérieure de ceux qui vivent sans voir, mais qui sentent, pensent, rêvent.

Et tant que je pourrai, je continuerai à le faire vivre, à le transmettre, et à rappeler qu’il est bien plus qu’un système de points : c’est un acte de liberté.

Claude Garrandès

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